ROYAUME BLEU
ROYAUME BLEU
Cléo Atsumo
Sans emploi
26 ans • Non éveillé • Royaume Rouge
Pouvoir de la terre (magnétisme)
• CARACTERE :
Semble faire preuve d’un grand détachement vis-à-vis de toute situation émotionnelle. Comme si elle ne ressentait rien. Assez pince-sans-rire et portée sur l’ironie. En somme, plutôt désagréable et froide.
Je n’aurais pas formulé les choses de cette manière mais en soit, il m’est compliqué de nier. Ce portrait est plutôt réaliste. J’ajouterais simplement qu’à défaut de savoir gérer mes émotions, je ne suis pas trop mauvaise pour reconnaître celles des autres, et les gérer si l’envie m’en prend. Chose qui arrive rarement soit dit en passant. En général je me contente d’échanger des banalités et de faire preuve de désinvolture.
• CAPACITES :
Magnétisme. Pouvoir de terre. Danger modéré. Contrôle partiel.
Encore une fois, on ne peut pas dire qu’ils soient très bavards. En réalité, magnétisme, c’est assez imprécis. Je possède toutes les propriétés d’un minéral fortement magnétique. Autrement dit, je peux contrôler la polarisation de certaines parties de mon corps. Principalement mes mains pour ainsi dire. Ça me permet de faire des trucs plutôt cool, comme repousser ou attirer les balles, armes et objets métalliques en tout genre à proximité. Dans une moindre mesure, je peux aussi influencer la circulation sanguine de mes comparses pour atténuer leurs douleurs. Ou perturber leurs pensées, même si je ne maîtrise pas encore très bien cette fonctionnalité.
Cependant, le magnétisme, ça fluidifie le sang et provoque de la confusion. De façon importante si le champ magnétique est fort. Et cela vaut aussi pour mon corps. Lorsque j’utilise mon don, je deviens hémophile et, si j’abuse vraiment, je peux entrer dans un état de confusion mentale important. Autrement dit, il ne me faudra que quelques minutes pour me vider de mon sang si l’on me tranche les veines. Moins d’une seconde en visant l’aorte. Et une ou deux heures en cas de coupure moyenne. Pas terrible.
Plus : Possède des compétences scientifiques et aimerait trouver une place dans la conception et la recherche de nouveaux outils technologiques.
Concevait des produits électro-mécaniques en tant qu’ingénieure au sein d’un laboratoire de recherche.
Ils sont drôles les administratifs d’aujourd’hui. Ils s’amusent à mettre un paquet de détails dans ce document que personne ne lira jamais. Par contre, ils se gardent bien de donner les infos pertinentes. Entre autres le fait qu'à côté de mon emploi officiel, je conçois également des outils. Plus ou moins militaires. Et que je les vends à quiconque apporte une bourse suffisamment remplie. Les affaires sont les affaires. Le sens de la justice ne nourrit pas.
HISTOIRE
Née en 2032. Portée disparue jusqu’en 2045, lorsqu’elle arrive avec sa sœur dans la province de Gunma. Sans histoire jusqu’en 2058, ou elle se révèle être mutante. Renvoi immédiat vers le royaume rouge.
Si je puis me le permettre, je rédigerais ça autrement, pour que ce soit légèrement plus romancé. Après tout, j’ai de l’imagination, autant m’en servir.
6 février 2038, province de Fukushima
4h50 : Un cri de douleur déchira le silence qui régnait dans le sous-sol de la supérette où la famille s’était réfugiée depuis le début de la guerre. Yuma s’effondra à terre, le visage crispé par la douleur et les bras pliés sur le ventre. A ses pieds, une large flaque d’eau se répandait au sol, tandis que sa fille aînée et son mari se précipitaient à ses côtés.
«Ren…. Elle…elle arrive.» prononça-elle difficilement, entre deux contractions.
La panique se lut alors sur le visage de son conjoint. Père d’une fille et d’un fils, il avait assisté aux précédents accouchements. Il avait soutenu sa femme lors de ces épreuves. Partagé sa douleur. Mais aujourd’hui, il n’allait pas pouvoir se contenter de l’encourager. Aujourd’hui, il lui faudrait la guider.
Depuis l’apparition du gène « V », la situation s’était sévèrement dégradée, au Japon comme partout ailleurs. L’ordre s’était vu petit à petit remplacé par l’anarchie. Des groupuscules pro et anti mutation, s’étaient formés et se vouaient une haine sans merci. Des purges faisaient alors rage dans les rues de Fukushima, plongeant la ville dans un chaos indescriptible. Les boutiques, hôpitaux et autres structures publiques avaient fermé, les approvisionnements étaient soit inexistants soit pillés avant d’atteindre les entrepôts et tous les bâtiments pouvant être détruits l’avaient été. La petite famille n’avait eu d’autre choix que de fuir pour survivre, d’autant plus qu’il leur était impossible de rejoindre l’un ou l’autre des groupes, Yuma étant porteuse active de la mutation et Ren non.
Le père de famille retroussa ses manches, prit une grande inspiration et sortit le peu de matériel médical en leur possession. A ses côtés, sa jeune fille le regardait, les yeux grands ouverts.
« Tu vas y arriver Papa. Tu vas t’occuper de maman, et moi je vais prendre soin de petit frère. »
Sa fille avait toujours été d’une grande intelligence et d’une grande sensibilité. Ren regrettait qu’elle ait eu à grandir si vite, à apprendre à survivre. Pourtant, en cet instant précis, il était juste incroyablement fier de voir ce petit bout d’être humain prendre des responsabilités, du haut de ses 6 ans, et veiller sur son frère cadet, le temps que ses parents accueillent la nouvelle venue dans la fratrie. Il posa sa main dans les cheveux de la jeune enfant et la regarda droit dans les yeux :
« Tu as raison Cléo. On va y arriver ensemble. Je vais m’occuper de maman et de ta nouvelle petite sœur. Toi, tu prends soin de ton frère. Je suis très très fier de toi. »
Un grand sourire illumina le visage de la petite fille, fière d’aider ses parents. Alors, tandis que son père s’occupait de sa mère, elle s’assit à côté de son petit frère, en pleurs. Et elle commença à chanter. Elle chanta la berceuse que sa mère lui chantait toujours lorsqu’elle avait peur.
Lorsqu’elle termina le dernier couplet, un hurlement de bébé retentit. Le hurlement de sa sœur. Cléo sourit, elle savait que ce cri signifiait qu’une vie commençait. Qu’elle avait une nouvelle petite sœur.
Cependant, en temps normal, le cri d’un enfant s’accompagnait de sourires. De pleurs de joie. De vie. Mais ce jour-là, seul le silence répondit. Elle entendit son père s’agiter. Des objets tomber. Elle ne comprit pas tout de suite ce qu’il se passait. Alors, elle chanta. Pour son frère, pour ne plus qu’il ait peur. Pour sa nouvelle sœur, pour lui souhaiter la bienvenue. Pour son père, pour qu’il soit fier. Et sans le savoir, pour sa mère pour lui adresser une dernière prière.
Ren mis longtemps à revenir voir son aînée, le bébé dans les bras. Les yeux rougis, il s’assit à côté des prunelles de ses yeux, en silence. Cléo posa sur lui un regard interrogatif, sans oser briser le silence.
« Cléo… Maman est partie. »
La petite fille ne cilla pas. Elle intégra l’information, avant de hausser les épaules.
« Elle reviendra bientôt ne t’inquiètes pas.»
Du haut de ses 6 ans, elle ne perçut pas le désespoir dans le regard de son père. Du haut de ses 6 ans elle ne comprit pas que l’on ne revenait pas de là où sa mère était partie. Du haut de ses 29 ans, son père n’eut pas le courage de briser l’espoir qu’il restait dans le cœur de sa fille. Ses trois enfants, c’était tout ce qu’il lui restait de sa femme. De leur vie d’avant. Il les embrassa un par un sur le front avant de les regarder, les yeux embués de larmes :
« Maman vous aime très fort les enfants. Vous le savez ça ? »
D’un revers de la main, il chassa la tristesse de son visage. Sa femme aurait voulu qu’il reste fort, qu’il chérisse ce qu’ils avaient de plus cher. Alors, il inspira profondément.
« Les enfants, vous êtes ce que vous avez de plus précieux. Cette famille, elle sera toujours là pour vous, vous comprenez ? Il faut que vous preniez soin les uns des autres. Quoi qu’il arrive. »
Son regard se posa sur Cléo, avec tendresse.
« Cléo, tu es la plus grande. J’ai besoin que tu veilles sur ton frère et ta sœur si un jour, moi aussi je devais partir. Ils n’auraient plus que toi. Est-ce que tu peux me le promettre s’il te plait ? »
Malgré la candeur de son jeune âge, la petite fille avait compris que ce qui se jouait devant elle était plus que de simples mots. Elle ne comprenait pas exactement pourquoi son père partirait lui aussi, ni ce que veiller sur ses frères et sœurs signifiait, mais elle avait compris que c’était important pour son père. Qu’il avait besoin de savoir qu’il pouvait compter sur elle. Alors, elle allait le rendre fier :
« Il ne faut pas que tu t’en ailles papa. Mais si un jour toi aussi tu y allais, alors, je resterais à côté de petit frère et petite sœur. Pour toute la vie. »
Son père sourit, déposa la nouvelle née dans le couffin de son fils cadet, avant de serrer Cléo dans ses bras et de murmurer :
« Merci. »
1er juin 2045, province de Fukushima
Le soleil était à son zénith et entamait son déclin depuis quelques minutes à peine. Cléo et sa sœur parcouraient les alentours de Fukushima depuis déjà plusieurs heures à la recherche de ressources. Elles savaient que lorsque la nuit se lèverait, les affrontements reprendraient et toute personne à l’extérieur verrait son espérance de vie drastiquement réduite. A 14 ans, la jeune fille ne savait pas encore si elle était porteuse active du gène ou non, tout comme sa sœur. Mais elle savait que les probabilités n’étaient pas nulles, et qu’en cas d’affrontement, leurs opposants ne s’amuseraient pas à vérifier dans quel camp elles étaient avant de tirer.
Cléo savait se défendre mais préférait éviter les affrontements d’autant plus que sa sœur de 9 ans était avec elle et n’avait pas encore ses compétences.
En effet, quelques mois après le décès de Yuma, Ren avait commencé à se reposer sur sa fille ainée. Elle avait dû grandir très vite et s’endurcir, pour aider son père à subvenir aux besoins de la famille. Elle avait acquis de nombreux rudiments de survie, que ce soit le tir, les plantes comestibles et médicinales, le combat ou les premiers soins lors de ses premières années de vie et continuait de se cultiver en lisant tout ce qui pouvait lui tomber sous la main.
Au début, elle accompagnait son père à l’extérieur, chercher de quoi manger, tandis que son frère se chargeait de surveiller la benjamine de la famille. La nuit, alors que les deux plus jeunes dormaient, son père lui apprenait les bases de l’électronique. Ingénieur électronicien, Ren jugeait utile d’enseigner son métier à sa fille, pour qu’elle puisse réparer ou concevoir des équipements qui lui seraient nécessaires. Ou qu’elle puisse avoir un bon métier, si un jour la vie revenait à la normale.
Le temps avait défilé, et les enfants avaient grandi. Les deux benjamins devinrent rapidement en mesure d’accompagner Ren et Cléo à l’extérieur. D’un commun accord, Cléo se chargea d’apprendre à sa petite sœur comment survivre, tandis que Ren s’occupa de son fils cadet.
Ce jour-là, les garçons étaient partis sur le bord de mer, à la recherche de poissons. Cléo, elle, avait décidé qu’il était temps pour sa sœur d’améliorer ses compétences en tir. Elle voulait que sa sœur soit capable de se défendre, mais était trop jeune pour commencer le corps à corps. Après une longue journée de chasse et de récolte, les deux filles s’étaient assises à même le sol pour grignoter quelques lamelles de viande séchées, devant le coucher de soleil, avant de rentrer dans le sous-sol qu’elles occupaient avec leur famille. Elles observaient la lumière du soir en se remémorant les moments agréables de leur journée. Ce rare moment d’insouciance était leur manière à elles deux de conclure une période de dur labeur. D’oublier un peu la violence du monde qui les entourait. Mais ce matin-là, leur moment de frivolité fut interrompu par de fortes explosions.
A la première détonation, le sang de Cléo ne fit qu’un tour. Des groupes d’éveillés sévissaient dans la région depuis quelques temps, et avaient la réputation d’être extrêmement virulents. L’adrénaline monta dans veines, et son corps tout entier lui cria de fuir. A la seconde, elle se précipita alors sur sa sœur, lui saisit la main et se mit à courir en direction du premier abri dans son champ de vision. Tout autour d’elle était flou. Elle n’avait qu’un but et rien ne pouvait l’en distraire, à tel point qu’elle ne remarqua pas combien sa sœur peinait à suivre. Son instinct de survie venait de prendre le dessus.
Ce ne fut qu’une fois arrivée dans soubassement que l’adolescente se rendit compte de la panique de sa petite sœur. La petite fille avait les yeux rougis de larmes et les genoux écorchés. L’air hagard, elle ne semblait pas comprendre ou réaliser ce qui venait de se passer. Cléo s’accroupit à son niveau et commença à lui expliquer, d’une voix douce :
-« Petit chat, ce que tu as entendu, ce sont les Éveillés qui attaquent. Les combats ont recommencé en ville. Il fallait que l’on s’abrite au cas où le groupe ne serait pas loin. Tout va bien, on est toutes les deux, Les garçons ont aussi dû s’abriter. On va attendre que la situation se calme et on ira les retrouver, d’accord »
Elle caressa délicatement sa joue et lui adressa un sourire qu’elle voulait rassurant. Mais la benjamine resta mutique, trop choquée pour réagir. Cléo prit alors sa sœur dans ses bras, et se mit à lui caresser le dos, déclenchant les sanglots de la petite.
L’adolescente ne pleurait pas. Elle avait perdu cette faculté le jour où elle avait compris que sa mère ne reviendrait pas. Elle n’avait pas fait de deuil. Elle n’en avait pas eu le temps. Ni le droit. Son père avait sombré dans la dépression peu après la mort de son épouse et c’est Cléo qui avait pris les rênes du petit groupe. Elle avait alors profondément enfoui ses sentiments en elle, et fermé la porte de son cœur à double tour. Sa famille comptait sur elle, elle ne pouvait pas craquer.
Alors oui, elle était terrifiée à l’idée de perdre son père et son frère. Car contrairement à ce qu’elle venait de promettre à sa sœur, elle n’avait aucune idée de s’ils avaient pu s’abriter, d’où ils étaient et de s’ils allaient survivre. Elle ne pouvait s’empêcher de penser au pire mais ne s’autorisait pas à l’exprimer.
Si son inquiétude était facile à cacher, sa colère, elle l’était beaucoup moins. Elle bouillonnait de colère, contre ces mutants qui abusaient de leur pouvoir et n’étaient que destruction. Leur surpuissance ne leur donnait pas tous les droits. Elle mourrait d’envie de sortir se battre. De leur montrer qu’ils devraient eux aussi craindre les gens. Mais sa survie et celle d’une enfant de 9 ans était en jeu. Elle ne pouvait pas se permettre de craquer.
Lorsque les pleurs de sa sœur se tarirent, Cléo desserra son étreinte. Les explosions se faisaient toujours aussi intenses. Aussi, elles décidèrent de rester abritées dans le sous-sol en attendant la fin des affrontements.
Elles y restèrent deux jours, en rationnant eau et nourriture au cas où il leur faudrait tenir plus longtemps. Les deux filles discutèrent peu, toutes deux perdues dans leurs pensées. Cléo ne dormit pas, jonglant entre tours de garde, ravitaillement en eau et nourriture ou soin de sa petite sœur. Au matin du troisième jour, les explosions cessèrent. Peu sereines, les deux filles sortirent de leur abri, et se hâtèrent vers le campement qu’elles occupaient avec leur père et leur frère. A peine eurent-elles franchi l’entrée de la ville, que la puanteur les assaillit. L’air sentait le brulé. L’amertume, le sang. Elles couvrirent toutes deux leur nez à l’aide de foulards, pour tenter de se préserver du climat d’horreur qui régnait, et continuèrent à avancer. Leur quartier était en ruine. Les bâtiments n’étaient plus que des monticules de pierres amassés au sol. Sans un mot, les deux jeunes filles se rendirent à l’emplacement du sous-sol qu’elles occupaient avec leur famille, et commencèrent à déblayer la zone. Ni l’une ni l’autre ne savait vraiment ce qu’elles cherchaient. Leurs affaires ? Un signe de vie de leur père ou leur frère ? Un corps ?
Si Cléo ne montrait aucun signe de peur ou de désespoir, ça n’était pas le cas de sa sœur, plus proche de ses émotions que son ainée. Après plusieurs heures de recherche, elles avaient réussi à récupérer certaines de leurs affaires, entre autres des vivres, des armes, et les carnets de leur père. Mais aucun signe de leur famille. Epuisées, elles décidèrent de mettre fin aux fouilles mais de rester abritées à proximité, au cas où les hommes de la famille reviendraient.
S’en suivirent plusieurs jours d’attente interminable, de discussions vides de sens. Les deux jeunes filles tentèrent de faire comme si de rien n’était. En vain. L’abcès finit par crever le soir du septième jour. Cléo annonça à sa sœur de but en blanc qu’elles allaient devoir partir car les ressources se faisaient rares. Puis sans un mot, elle commença à réunir ses affaires, indifférente à l’incompréhension dans les yeux de sa sœur :
« C’est tout ? Sérieusement ? Cléo réveilles toi putain, on parle de notre famille ! »
La benjamine s’était levée son siège de fortune, les poings serrés, le visage fermé et les yeux rougis de n’avoir que trop pleuré. Elle bouillonnait ouvertement de colère, abasourdie de voir le détachement dont sa sœur faisait preuve à l’idée d’abandonner leur passé.
« Partir, ça revient à abandonner ce qui nous reste de notre famille. Et on dirait que tu n’en as rien à faire. Que tu te moques de nous. Ça te dérangerait de faire comme si on était importants pour toi au moins une fois dans ta vie ! »
Cléo releva la tête, attentive aux paroles de sa sœur. Elle l’écouta jusqu’au bout, avant de soupirer. Elle comprenait sa colère. Sa douleur, son sentiment d’impuissance. Il lui fallait une coupable. Quelqu’un sur qui passer ses nerfs. Et elle tiendrait ce rôle.
Cela faisait vraiment longtemps qu’elle avait enfoui son insouciance, ses sentiments au fond de son âme et qu’elle se contentait de veiller sur les autres et de survivre. Bien sur qu’elle tenait à sa famille. Elle avait tout donné pour eux et elle ne comptait pas s’arrêter. Mais laisser s’exprimer ses sentiments, c’était prendre le risque de s’effondrer et de ne pas se relever. Et elle ne pouvait pas infliger ça à sa sœur.
« Je t’aime petit chat. Vraiment. Tout aussi fort que j’aime notre père et notre frère. Toutes les décisions que je prends, je les prends pour nous. Mais ce que tu me demandes, je ne peux pas te le donner. La vie est injuste, les circonstances sont injustes. Notre famille nous a été arrachée, et c’est comme ça, c’est tout. S’apitoyer ne servira à rien. »
Cléo tira la fermeture éclair de son sac, et commença à en remplir un second, sous le regard abasourdi de la benjamine.
« Tu as le droit d’être triste, et de l’exprimer. Mais tu n’as pas le droit de me forcer à faire pareil et encore moins à te parler de tout. Nous sommes différentes. Maintenant il faut que tu fasses ton sac. On va devoir partir. Ils n’auraient pas voulu que l’on prenne le risque de mourir en restant ici »
Pour la première fois depuis le début de la discussion, Cléo croisa le regard de sa sœur. Ce jour-là, elle sut que quelque chose venait de se briser. Sans plus d’explication sa sœur rangea ses affaires, le visage fermé, avant de lancer :
« Tu le regretteras un jour. Et ça sera trop tard »
8 septembre 2045 province de Kanto
Les deux filles arrivèrent à Kantô, dans la région de Gunma quelques mois plus tard. Leur relation s’était apaisée et elles avaient, toutes deux, fini par s'habituer à l’absence de leur père et de leur frère.
Contrairement à Fukushima, Gunma était encore un district vivable. Les deux filles se réfugièrent alors dans un des bâtiments, visiblement inhabité, et décidèrent de s’y installer sur un plus long terme. La province de Gunma proposait une grande abondance de ressources et les attaques y étaient peu nombreuses. Les jeunes filles eurent à se protéger de quelques assauts, mais bien moindres que ceux qu’elles avaient connus à Fukushima. Elles s’accoutumèrent alors peu à peu à ce nouveau rythme de vie, où la peur était moindre et où les ressources ne manquaient pas. Elles s’autorisaient même à sortir seules parfois et Cléo avait repris l’apprentissage de l’électronique.
Alors, lorsqu’un beau matin de 2045, elle se sentit faible, la jeune électronicienne n’eut aucune inquiétude à l’idée de laisser sa sœur seule pour la journée.
Ce matin-là, les deux filles s’étaient levées aux aurores, comme à leur habitude. Pourtant, Cléo se sentait vaseuse, fatiguée, et ses muscles la faisaient souffrir. Elle s’était confiée à sa sœur lors du petit déjeuner et celle-ci lui avait proposé de rester à la maison tandis qu’elle s’occuperait d’aller chercher de quoi manger et de quoi bricoler. La jeune femme avait accepté sans broncher, ne se sentant vraiment pas capable de faire quoi que ce soit.
A peine sa sœur avait elle franchi le seuil de leur foyer que l’adolescente s’effondra au sol. Comme si son corps avait attendu qu’elle soit seule pour céder. Chaque centimètre carré de sa peau la brûlait, comme si elle se déchirait en mille morceaux. Ce devait être LE moment. Son père l’avait prévenue, peu avant sa disparition, du processus d’éveil de la mutation « V ». Elle était donc porteuse active du gène.
Dans un ultime effort, elle se traina dans le sous-sol voisin. Et c’est là que le monde explosa. La jeune femme se mit à hurler. Autour d’elle, les charpentes métalliques commencèrent à se tordre, les débris métalliques commencèrent à léviter tandis que les lumières se mirent à clignoter dans tous les sens. Elle sentit son sang circuler à toute vitesse, son cœur s’emballer et sa tête tourner. De plus en plus vite. Puis vint le noir.
Lorsque la jeune fille remonta au conscient, il faisait nuit dehors. Des câbles pendaient du plafond et les murs étaient dangereusement branlants. Les grilles métalliques de soutien transperçaient le béton, à deux doigts de l’effondrement. Les lieux semblaient avoir été balayés par une tempête. Elle regarda autour d’elle attentivement et se rendit compte qu’il faisait nuit et qu’elle n’avait aucune idée de la durée de son absence. Une chose était sûre: sa sœur devait être morte d’inquiétude. Elle se redressa alors lentement tentant de comprendre ce qui venait de se passer, en vain, rien ne lui revint.
Elle sortit lentement du sous-sol et entra dans celui qu’elle occupait avec sa sœur. La porte s’ouvrit en grinçant et sa sœur fondit sur elle et la prit dans ses bras.
-« Cléo ! Mais tu étais où, ça fait 2 jours que je te cherche j’ai cru que tu t’étais fait enlever ! Est-ce que tu vas bien ?! »
Silencieuse, la jeune femme se contenta de serrer sa sœur dans ses bras. Sans un mot. Elle ne voulait pas lui parler du réveil de la mutation, pour ne pas l’inquiéter. Sa sœur avait suffisamment vécu d’épreuves traumatisantes sans en rajouter. Elle l'étreint alors à son tour :
-« Tout va bien je suis là maintenant. J’étais partie chercher des médicaments et je me suis sentie mal, je me suis arrêtée ailleurs pour dormir. Mais je suis revenue maintenant. »
Elle posa une main sur les cheveux de sa petite sœur et desserra son étreinte.
« Je ne partirais plus maintenant ne t’inquiètes pas »